La littérature fantastique : une esthétique de la terreur (2ème partie)

Publié le par S.L.

Panorama de la littérature fantastique (par Sandrine Leturcq)


L'âge d'or : le XIXe siècle


Les auteurs fantastiques se sont eux aussi longtemps servi des ingrédients du roman gothique. En 1830, Nodier a le premier défini le fantastique comme "qui fait peur".


Et, pour faire peur, certains n'hésitent pas à faire appel à cet arsenal de la terreur ; ils en recueillent le folklore en ajoutant, pour Bram Stocker, Théophile Gautier ou Sheridan Le Fanu, une créature surnaturelle, le vampire. De même, le mélodrame puis le théâtre romantique emprunteront ces décors propres à créer une atmosphère inquiétante.
                        
Il ne faut pas non plus négliger l'apport du roman noir dans la thématique des grands romanciers de l'époque romantique, tels Hugo, Balzac et Baudelaire. De la même façon, Alexandre Dumas aura recours à ce bric-à-brac de la terreur pour ses romans d'aventures, dont les héritiers seront, au début du XXe siècle, Gaston Leroux, Maurice Leblanc et Maurice Renard. Leurs oeuvres, à grand renfort de sorciers et de goules, préfigurent le récit d'épouvante et la production fantastique de grande diffusion d'aujourd'hui.


 
Avec Edgar Allan Poe, découvert en France dans les années 1850 grâce à Baudelaire, cet arsenal douteux de la terreur sera abandonné. La terreur n'est plus visible, à grands renforts de lieux angoissants et de personnages diaboliques. En effet, Poe fait naître un nouveau concept de la terreur, extrêmement mordant : ce n'est plus l'accumulation des motifs mais la sobriété de la mise en scène qui produit l'esthétique de la terreur. Le roman gothique plantait son décor dans un milieu angoissant et mystérieux, Poe situe son action dans le monde de tous les jours. Le roman noir créait des personnages maléfiques et souvent surnaturels, Poe utilise des individus, souvent inquiétants, à notre image. Le roman gothique énumérait les divers indices d'un mystère, Poe préfère l'efficacité de la suggestion, de l'image, et gagne tous ses effets par la cohésion et la logique. Il va d'ailleurs s'amuser à pasticher la littérature gothique par ses motifs ou les clichés de son style. Pour autant, la mort est bien présente chez Poe, mort violente, inattendue. L'étrange n'est plus à l'extérieur de l'homme, mais en lui. Ses récits décrivent les défaillances, les dérèglements inhumains, entrant dans le détail des cas extrêmes de névroses et des délires.
La terreur n'est plus palpable, visible, mais indicible.

Maupassant, à la suite d'Edgar Poe et d'Hoffmann, est très souvent revenu sur l'idée que le fantastique moderne doit négliger les effets faciles et se contenter de faire intervenir dans une trame vraisemblable un simple élément "anormal". Il présente de même la peur comme un des ressorts essentiels du fantastique. Depuis Poe, l'originalité du fantastique moderne vient de ce que l'auteur communique au lecteur la peur ressentie par les personnages. Que l'objet de la peur soit réel ou pas, peu importe : seul compte l'effet voulu. La terreur se manifeste dans le récit par la rupture des évidences sur lesquelles repose notre univers quotidien.
Tout au long du 19e siècle, de nombreux écrivains vont s'illustrer dans cette voie. D'autres motifs sont exploités. Certains viennent d'un fonds folklorique. Ainsi, le Diable, appartenant à la théologie, après avoir joui d'une existence réelle pour les hommes du Moyen-Age, survit au XIXe siècle, à travers les fonctions du pacte ou des maléfices. L'archétype en est la légende de Faust. Ce savant conclut un pacte avec Méphistophélès, dont les termes sont les suivants : le diable donne à Faust la connaissance de la magie et 24 ans de plaisir et de pouvoir, après lesquels l'âme de Faust lui appartiendra. La version de Goethe diffère en deux points : Faust conclut ce pacte pour étendre ses connaissances et, à la fin, il n'est pas damné.

D'autres ont une originalité mythologique. Les parties séparées du corps humain et les objets s'animent, telle la statue de la Vénus d'Ille.

Apparitions, âmes en peine et passages entre rêve et veille complètent ce nouvel éventail de possibilités. On assiste d'ailleurs en fin de siècle au renouveau de l'occultisme et au retour du diable, avec Barbey d'Aurevilly et ses héritiers. Le péché fascine à nouveau.

Léon Bloy, dans ses Histoires désobligeantes (1894), excelle dans la cruauté de ses contes noirs, mélange des procédés de Villiers-de-l'Isle-Adam et des idées de Barbey d'Aurevilly.

Comme Poe, Ambrose Bierce et son oeuvre sont hantés par l'idée de mort, la terreur de mourir, si bien que dans l'une des préfaces qu'il lui consacre, Jacques Sternberg le qualifie, parmi ses confrères d'outre-Atlantique, du "plus morbide", du "plus ténébreux". Marcel Schwob croit lui aussi à La Terreur, éternelle, à la fois extérieure et intérieure à l'homme, inextricablement liée à son destin et au merveilleux.



Suite et fin demain : le XXe siècle
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