Le conte africain : rencontre avec Sylvain Kodjo Mehoun

Publié le par Essel

Rencontre en mars 2004 (intervention rapportée mot pour mot)

Introduction


C’est habillé en touareg que Kodjo Mehoun a franchi le seuil de la porte.

Qu’est-ce qu’un conte africain ? Nous expliqua Kodja Mehoun avec force d’exemples : c’est d’abord des leçons de vie.
C’est ensuite un noyau d’histoire que le narrateur a pu entendre, qu’il a envie d’étoffer et de modifier comme il l’entend.
Ainsi ce conte d’une vache qui passe. Sa bouse tombe par inadvertance sur un petit oiseau posé là. Arrive un renard qui secoue l’oiseau pour retirer sa bouse… et le mange. Trois moralités sont à tirer de cette histoire : la première, c’est que celui qui nous crée des ennuis ne nous veut pas forcément du mal ; la seconde, c’est que celui qui nous tire des ennuis ne nous veut pas forcément du bien ; la troisième, c’est que celui qui a des ennuis ne doit pas hésiter à appeler à l’aide.
A partir de ce canevas initial, Kodjo Mehoun a tissé toute une trame, tout un contexte, une quantité de détails, donnant de l’épaisseur à ce si petit conte.

C’est aussi et surtout un choix intéressant de personnages permettant d’évoquer son entourage susceptible ou son gouvernement sans avoir à les nommer, à se justifier. Ainsi, le roi sera représenté par le roi des animaux, c’est-à-dire le lion, et ainsi de suite, prêtant aux animaux des caractères humains. Ainsi cette belle jeune femme qui dans le village ne voulait épouser personne. Un conteur, pour ne pas la heurter de front, choisit d’inventer une histoire où elle se reconnaîtrait forcément. Une jeune femme très belle refusait sa main à tous les prétendants de son village jusqu’au jour où arriva un très beau jeune homme. Elle l’épousa et partit avec lui. Là, il se transforma en boa et d’un coup l’avala. Pourquoi un serpent ? Parce qu’il est sournois. Que deviendrait cette histoire transposée de nos jours ? Une belle jeune fille sort avec un jeune lycéen qu’elle juge au moins aussi beau qu’elle, prévenant, galant, mais qui, une fois avec elle, la fait souffrir car, par exemple, il la trompe sans cesse avec d’autres filles. La morale de cette histoire, vous l’aurez compris, c’est qu’il faut se garder de ne se fier qu’à l’apparence extérieure…
La veille, nous explique Kodjo, il se trouvait avec d’autres intermittents du spectacle face à des députés et, endossant son rôle de conteur, avait inventé le conte suivant : un tigre apparemment content de lui cria au zèbre qui passait par là :
- "Profite bien de courir car tu figures sur ma liste.
- De quelle liste parles-tu donc ?
- Eh bien, regarde : je t’ai inscrit pour midi. Tu seras mangé !"

Raconter une histoire

Sylvain Kodjo Mehoun poursuit : "On te raconte une histoire et tu veux la retenir. Tu fais alors appel à ta mémoire personnelle pour à ton tour raconter ton histoire.
Par exemple, un conteur africain te raconte l'histoire de deux femmes.
C'est l'histoire d'un homme qui avait épousé deux femmes. L'une était très jalouse et l'autre ne l'était pas. C'est normal puisque certaines personnes n'aiment pas partager. Et les deux étaient bossues. La première, Gloria, était bossue, certes, mais c'était une légère bosse. La seconde, Yala, avait une bien plus grosse bosse mais était très gentille.
Une voisine, un jour, raconta à cette dernière, qu'elle appréciait beaucoup : "Ce soir, des déesses viendront danser, va avec elles et demande à l'une d'entre elles : "Prenez mon bébé qui est derrière mon dos." Alors elles prendront ton bébé et tu devras fuir. Après tu n'auras plus de bosse." Et cela a marché.
Et le lendemain, quand Gloria voit que la gentille épouse n'a plus de bosse, elle est encore plus jalouse et elle veut savoir ce que Yala a fait pour ne plus avoir de bosse. La deuxième femme est si gentille qu'elle lui dit la vérité. Du coup, la première femme retourne une nuit danser et dit à sa voisine surnaturelle : "Peux-tu prendre l'enfant qui est dans mon dos pour que je danse ?"
"Non non non, cela fait un bon moment qu'il y en a une qui m'a passé son bébé sans revenir le chercher. C'est à mon tour de danser."
Et la déesse lui donne l'autre bosse sur son dos, si bien que Gloria se retrouva avec deux bosses.

Cela, c'est l'histoire que je viens de raconter. Maintenant, si vous allez vérifier dans le livre, ce ne sera pas pareil. C'est différent car j'ai utilisé mes mots, j'ai utilisé des prénoms qui n'existaient pas dans le livre, et donc c'est à vous de vous approprier les contes pour les transformer.
Par exemple, vous allez voir un match de foot : vous rentrez chez vous raconter le match à quelqu'un. Vous n'allez pas commencer par le début, mais par les moments qui vous ont le plus plu : "Au moment où il allait marquer un but, on aurait dit qu'il avait quatre pieds !" On va peut-être vous répondre que vous êtes marseillais, que vous mentez, mais c'est vous qui enchérissez.
Quand on parle de conte africain, on s'imagine qu'on va parler des animaux de la brousse, que le conteur va arriver avec un jumbé, des clochettes. C'est beau mais il y a très longtemps que cela ne se passe plus ainsi. Ca évolue. Certains conteurs effectivement sont conservateurs et sont restés là-dessus car c'est leur formation, du genre des griots.
Je ne suis pas un griot, je ne peux pas l'être. Il ne faut pas confondre griot et conteur : les griots sont conteurs, mais surtout ils sont la mémoire du peuple, ce sont des journalistes, ils sont tout, ils sont immenses. Moi, je ne suis qu'un conteur, donc je prends tout juste une fonction des griots qui racontaient des histoires.
Moi, je n'ai pas vécu dans la jungle. Même ceux qui parlent d'animaux dans leurs contes n'ont jamais vécu dans la jungle, ils ne comprennent pas le langage du lion,
ils ne comprennent pas le langage des lièvres. Pourquoi utilisent-ils des animaux ? Souvent les histoires qu'ils racontent sont faites pour corriger des moeurs, pour donner des conseils. Elles proposent une morale. Si je dis à une adolescente "arrête de mâcher du chewing-gum", elle va se fâcher. Mais si je lui dis : "Ecoute, je vais te raconter l'histoire d'une biche, très belle. A chaque fois que la biche accompagnait ses collègues pour ses randonnées, elle n'arrêtait pas de brouter..." Et je lui invente une histoire pour que cela la dégoûte de mâcher toute la journée, alors que cela reste l'histoire d'une biche.
Et quand je parle du lion, au jour d'aujourd'hui, c'est le président de mon pays. C'est le roi des animaux. Je ne peux pas le nommer. Si je dis "Mon président, il a tué quelqu'un.", il faut que j'apporte des preuves, que je prenne un avocat, etc... Or là, je parle du lion !
Quand Birago Diop parlait de la bosse, c'est juste pour matérialiser les défauts que nous avons.
Je puise beaucoup dans le répertoire du conte africain, que je raconte avec un regard de citadin parisien, puisque cela fait longtemps que j'habite Paris. Je peux par exemple raconter l'histoire d'un lion ou d'une hyène dans le métro. Vous allez me dire "Il est malade, il raconte n'importe quoi." Mais si, car certaines personnes ont des comportements de hyène. Tu leur dis tout juste "Bonjour" dans le métro, c'est comme si tu les agressais. "Oh ! Un noir qui me dit bonjour !" Ca, c'est une hyène, ce n'est pas une personne. Les gens disent : "Il nous a raconté une histoire. Il a parlé d'une hyène.
Une hyène qui lit un livre !" Alors que moi je parle d'une personne à qui j'ai dit "bonjour" dans le métro et qui n'a pas compris : elle est là dans son coin à lire un livre, je veux m'assoir à côté d'elle et je dis "Bonjour madame.", et elle de paniquer. Maintenant vous avez compris.

Publié dans Entrevues

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