La domination *à**/Karine Tuil

Publié le par S.L.

RENTRÉE LITTÉRAIRE 2008
SELECTION GONCOURT


"Son imprévisibilité d'abord, et l'angoisse qu'elle générait chez ses interlocuteurs. Une humeur elliptique. Un moral soumis aux turbulences. Jamais tel qu'il était apparu la dernière fois." (incipit : les trois premières phrases).

Qu'il est difficile de brosser le portrait d'un père juif, chirurgien engagé connu sur la scène internationale, aussi charmeur en société qu'il peut être versatile et immoral chez lui, où il fait cohabiter sa jeune maîtresse russe et son bébé avec son épouse catholique pétainiste et ses deux enfants. Un père-caméléon qui vient juste de se suicider. C'est pourtant la commande que fait à cette jeune femme de vingt-six ans un grand éditeur, un homme âgé à présent, prêt à passer la main, et pourtant empressé auprès de cette jeune auteure qu'il séduit malgré la différence d'âge, grâce à l'aura culturelle et intellectuelle qu'il dégage. Pour ce faire, elle va devenir dans son roman Adam, un fils imaginaire, et se masculiniser à chacune de ses rencontres érotiques avec cet éditeur bien mystérieux...

Le désir n'est-il qu'envie de possession, pire une histoire de domination  ? Une domination politique, sociale, mais surtout sexuelle, intellectuelle,... Une domination exercée de l'éditeur sur son auteur, voire l'inverse, celle surtout de l'auteure sur son lecteur, maître du jeu, qui brouille les pistes, change les noms, emprunte d'autres identités. D'où le titre de ce roman à l'écriture sobre et fluide, ce roman qui intrigue et désarçonne son lecteur : quelle
part autobiographique d'elle-même l'auteur a-t-elle mis dans ce personnage ? Quand s'arrête l'autofiction ? Quand commence la fiction ? Peut-être serez-vous un peu moins troublé en écoutant la "philosophie" de Karine Tuil (à n'écouter que votre lecture achevée !) dans cette entrevue avec Michel Field :


D'où la mise en abime d'un roman autobiographique de la narratrice dans le récit. Malgré tout, un aspect du roman m'a "chiffonnée" : son côté autofiction (même si c'est un effet créé) m'a agacée, tout comme la résurgence de cette question de l'identité juive, de la filiation, des non-dits, des tabous, mise à toutes les sauces. Tant pis si je ne me fais pas des amis, mais cela m'a laissée de marbre.

Un roman de qualité, oui, d'une auteure qui m'est apparue intéressante et sympathique, mais son sujet ne le prédispose pas à devenir un futur Goncourt des lycéens. Quant au futur Goncourt, on sait depuis peu qu'il ne fait pas partie de la deuxième sélection, laquelle est assez décevante...



« Longtemps, j’ai pensé que le jour où je parviendrais à publier un livre sur mon père, je cesserais définitivement d’écrire. Je contourne cette menace en refusant de me plier à vos injonctions, en invoquant des blocages, le manque d’inspiration, la difficulté, la paresse. Mais vous insistez et voilà où nous en sommes, et voilà où nous en sommes, au milieu de l’après-midi, dans votre bureau avec vue sur cour, à parler de mon père, le héros de ce livre pour lequel vous m’avez fait signer un contrat sans même avoir lu une ligne. Vous voulez le livre que je ne peux pas écrire. Le dernier tabou. Après l’adultère l’inceste, les filiations secrètes, les doubles vies, voici la polygamie. Voici la pornographie, la tyrannie. A la fin du XX e siècle. Chez des petits-bourgeois juifs. » (p. 19).
TUIL, Karine. - La domination. – Grasset, 2008. –  230 p.. – ISBN 978-2-246-73921-0 : 16,50 €.
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S
Bonsoir,Je viens de publier ma chronique sur ce roman, et comme à mon habitude, je vais ensuite parcourir les autres articles pour avoir d'autres opinions. Il est vrai que la question juive occupe une grande place dans ce livre -ce qui peut plaire, ou déplaire. Mais cela n'enlève pas la qualité de la structure - j'ai beaucoup aimé, comme vous en parlez, de la mise en abime des deux livres. Il est vrai que j'ai quand même plus accroché sur la relation écrivain/éditeur que sur la question juive. Mais le livre aborde justement toutes les relations où il est question de domination. Je vous invite si vous le souhaitez à venir lire ma chroniquebien a vousbelles lectures
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S
<br /> avec plaisir.<br /> <br /> <br />
A
Je ne partage pas votre avis sur le livre de Karine Tuil.ce n'est pas un roman autobiographique, d'ailleurs elle s'en défend dans les deux entretiens que vous avez mis en ligne.C'est un livre passionant, au style éclatant, parfaitement documenté et qui soulève de vrais question sur les ambiguités identitaires.il aurait à mon avis le goncourt vu la prouesse de la construction littéraire;je le recommande vraiment.Moi j'y pense encore.
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S
<br /> Si vous aviez bien lu ma critique, vous sauriez que je sais bien qu'il ne s'agit pas d'une autobiographie, mais justement, je n'ai pas envie de retirer ce doute au lecteur, puisque c'est l'effet<br /> voulu par l'auteure, qui le dit d'ailleurs dans ses interview. J'ai voulu dans ma critique recréer cette interrogation voulue par Karine Tuil, sinon que reste-t-il de son jeu ? De son plaisir ?<br /> Je maintiens d'ailleurs mon opinion mais vous remercie vivement d'en proposer une autre aux visiteurs de ce blog.<br /> <br /> <br />
O
Il est sur ma pile, en bonne place! Ca vaut le coup alors?
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S
<br /> Mmmm, par rapport au reste de la sélection Goncourt, pas terrible, oui. Avec le recul, j'ai dans l'ensemble aimé et l'auteure et le roman, même si j'ai émis quelques bémols et que je ne l'ai pas<br /> acheté d'ailleurs, MAIS j'ai des collègues qui l'ont trouvé franchement malsain (rapports sado-masochises et dénouement). Cela ne m'a pas choquée.<br /> <br /> En revanche, je garde pour la fin un roman que beaucoup de collègues ont déjà lu, et qui a hélas été supprimé de la 2e sélection du Goncourt : C'était<br /> notre terre de Mathieu Belezi. Traitant de l'Algérie, il fait l'unanimité parmi les professeurs de l'équipe pédagogique, quelle que soit leur discipline, sur les 15 romans de la liste du<br /> Goncourt des lycéens. Je vais probablement le lire durant les vacances de la Toussaint, entre autres.<br /> <br /> <br />