La place ** d’Annie Ernaux (1984)

Publié le par S.L.

place-ERNAUXDeux mois après sa réussite au CAPES de lettres modernes, son père meurt, à l’âge de soixante-sept ans. Il faut à la narratrice écrire, expliquer cette distance qui s’est inscrite entre son père et elle, non désirée mais inéluctable, celle entre un esprit éveillé par des études longues, et des gens simples, ses parents.


«Pour rendre compte d’une vie soumise à la nécessité, je n’ai pas le droit de prendre d’abord le parti de l’art, ni de chercher à faire quelque chose de « passionnant », ou d’ « émouvant ». Je rassemblerai les paroles, les gestes, les goûts de mon père, les faits marquants de sa vie, tous les signes objectifs d’une existence que j’ai aussi partagée. » (p. 24)


Raconter la vie de son père, c’est retranscrire toute une vie de labeur, un mariage, la perte d’une fille, la naissance d’une seconde, la tenue d’un commerce avec la hantise de la concurrence ; mais c’est aussi le faire revivre par le biais de ses paroles, de ses expressions courantes, en italique dans le texte, qui se révèlent être autant de façons de voir l’existence, des pensées toutes faites comme « personne pour leur faire du tort », « des gens pas fiers », « je n’ai pas quatre bras », ou encore « il ne faut pas péter plus haut qu’on l’a ». C’est transmettre aussi, par ce récit singulier, l’incapacité universelle pour la génération suivante de se faire comprendre de ses parents, de les voir évoluer, et réciproquement, pour eux de voir leurs enfants prendre du recul vis-à-vis d’eux, parfois même d’en avoir honte.


café-Plùm-lautrec-tarnSobre, ce court récit se révèle être un portrait sensible d’un de ces hommes qui ont toujours vécu chichement, sans envier la situation des autres, doublé d’une analyse fine des relations forcément peu fusionnelles avec une fille qui, instruite et cultivée, s’est élevée, elle, au-dessus de sa condition. Simple mais suffisant.

 

Prix Renaudot 1984

A lire aussi d’elle Les années ** à ***

 

ERNAUX, Annie. – La place. – Gallimard, 2009 . – 113 p.. - (Folio ; 1722). – ISBN 978-2-037722-0 : 4 euros.

 

Acheté le dimanche soir 8 août 2010 au café Plum, rue de Lengouzy 81440 Lautrec.

 

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Y
<br /> <br /> Un des mes livres de chevet. Une écriture sans fioriture, qui décrit magnifiquement ce fossé qui se creuse entre elle, professeur, et ses parents, commerçants. Un formidable ouvrage !<br /> <br /> <br /> <br />
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C
<br /> <br /> Oui un texte magnifique !<br /> <br /> <br /> <br />
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S
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A
<br /> <br /> Un des plus beaux textes que j'ai lu.<br /> <br /> <br /> <br />
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S
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S
<br /> <br /> Dans ce livre, il y a un passage dont je me souviens bien car je l'avais cité en exergue dans mon mémoire de maitrise. C'est celui où, enfant, elle va à la bibliothèque avec son père. Ils<br /> demandent pour emprunter un livre et sont très surpris quand on leur demande quel titre. Ils sont tellement mal à l'aise dans ce lieu qu'ils ne remetteront plus les pieds dedans. C'est la mère<br /> qui va rendre le livre...<br /> <br /> <br /> <br />
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S
<br /> <br /> Oui, je vois très bien le passage en question. C'est l'une des raisons pour lesquelles il existe des bibliothèques scolaires : pour désacraliser le livre, habituer les enfants à fréquenter une<br /> bibliothèque et à y avoir des repères.<br /> <br /> <br /> <br />