Mirage d'amour avec fanfare **/ Herman Rivera Letelier
amour - musique - anarchisme - condition ouvrière
Traduit de l'espagnol (Chili) par Bertille Hausberg
Il faut un peu s'accrocher au départ avant de se laisser naturellement guider par l'histoire d'amour qui va bouleverser Mademoiselle Golondrina del Rosario, jeune femme à la silhouette éthérée, qui, "en plus de l'extraordinaire beauté et de la blancheur quasi translucide de sa peau", "avait hérité de sa mère une sensibilité artistique raffinée", transfigurant les pires films muets au piano, et donnant des leçons de déclamations poétiques aux fillettes. Car cette jeune femme, admirée de tous, ne semble pas avoir été souillée par le sable, les chiures de charognards, l'alcool et la luxure de cette petite ville de Pampa Union située en plein désert, dans les bordels et tavernes de laquelle les milliers de mineurs du salpêtre des environs viennent dépenser leur maigre pitance. Or Mademoiselle Golondrina del Rosario croit s'évanouir de confusion le jour où, parmi les musiciens qui se présentent à l'annonce municipale pour constituer une fanfare digne d'accueillir le Président, elle reconnaît en un trompettiste le rouquin au sourire ravageur qui, fuyant les carabiniers sur les toits il y a quelques années, atterrissait dans ses bras, lui laissant le souvenir d'une nuit de passion avant de quitter la ville...
Tenez pendant les 70 premières pages -- deux de mes collègues l'ont abandonné -- et vous découvrirez une histoire d'amour belle et tragique, qui fera pleurer les jeunes demoiselles et peut-être les moins jeunes. Mais, entendons-nous bien, il s'agit d'une vraie et belle histoire d'amour qui, si elle accuse certains poncifs que ne désavouerait pas la collection Harlequin, a tout de la matière vivante et haute en couleurs qui fait un bon roman. La peinture pittoresque de cette ville qui n'aura existé que 40 ans, de cette histoire d'amour devenue légende, de ce drame qui nous fait tressaillir de colère impuissante, nous le prouve. Toujours touchante, la plume de Hernan Rivera Letelier se fait légère et drôle lorsqu'elle évoque les soirées de beuveries des compagnons de la fanfare. Il conte aussi les malheurs de ces pauvres gens, les rendant profondément attachants. Il clôt enfin son récit par un dénouement qui réconcilie le tragique des histoires d'amour et celui des utopies héroïques. Une bien belle histoire, comme je vous le disais.