Maxime N'Débéka

Publié le par S.L.

Entrevue avec Maxime N'Débéka
le mardi 19 mai 2004
sur le théâtre africain

Il a été formé au Sénégal dans une école de formation des cadres de l’administration coloniale. Dans cette formation, il y avait le théâtre, théâtre voulu comme le véhicule de transmission de la culture française, ...

« parce que, là-bas, c’était la barbarie. D’abord, là-bas, il n’y avait pas de civilisation, il n’y avait pas de culture. Parce qu’au niveau de la colonisation française, il fallait ASSIMILER, c’est-à-dire qu’il fallait transformer ce peuple colonisé, leur faire adopter la culture française, pour qu’ils deviennent des citoyens français, pour qu’ils n’aient plus rien d’eux-mêmes. D’ailleurs, à cette époque –là, dans leur formation, l’histoire africaine n’existait pas. La géographie n’existait pas. On apprenait l’histoire de France. On apprenait la géographie française, donc la France, nous, on la connaissait du bout des doigts. On avait chez nous un grand fleuve, le Congo, énorme, mais on le connaissait à peine. Le grand fleuve, dans nos têtes, c’était la Seine, la Loire. Figurez-vous alors que le jour où je débarque à Paris, à 16 ans, je vais tout de suite voir la Seine et je suis très déçu ! Ca, un fleuve, mais c’est un cours d’eau !

On forme donc ces cadres au théâtre pour qu’ils puissent ensuite par le biais du théâtre combattre les idées archaïques, barbares. Donc le théâtre a un objectif, un but et une forme arrêté ; c’est vraiment un recours éducatif. Il devait assurer une marche rapide et efficace de l’Afrique vers le modernisme et la sortir de l’archaïsme. Cette école a donc formé des lettrés, des enseignants, des médecins, qui allaient faire du théâtre. Là, le théâtre était pris comme au 19e siècle. Au 19e siècle, les gens de théâtre dominaient la société française, bien plus que les romanciers, plus confidentiels. Etre classe, c’était se rendre au théâtre, se montrer au théâtre.


Et je suis convaincu que pour faire bouger les choses, les liens communautaires, pour agir sur un groupe, cela passe par un rassemblement, une manifestation collective, la religion, les fêtes, et le théâtre rassemble les gens comme dans une église, et lance des messages.

Ensuite surviennent les Indépendances, d’abord avec la période de lutte pour les Indépendances et tout de suite après, les Indépendances. Et pendant cette période le théâtre va changer un peu sa thématique. Les écritures sont encore assez rigides (ce qui a été enseigné, ce qui vient de France, c’est ça ce qui est bien), mais maintenant, ce qui bouge, ce sont les contenus. Et là, c’est un retour vers les sources. On veut récupérer un petit peu les identités, les cultures qui ont été niées, bannies, rejetées, décriées, et c’est un mouvement qui démarre avec la négritude autour des années 48, avec Léopold Sédar Senghor et Aimé Césaire, et puis Gontran de la Mas, le guyanais. Un mouvement important apparaît donc pour parler de la culture noire. Nous sommes noirs, et chez nous, il y a aussi de belles choses, et ils vont commencer à écrire, à magnifier cette identité, cette culture africaine. Au théâtre aussi, il ya ce retour aux sources, et l’on commence alors à parler des figures emblématiques du passé. Comme Béatrice du Congo qui au 17e siècle va être brûlée vive par les Portugais, les curés, parce qu’elle avait osé soulever les gens, créer une église synthétique, et dire que Saint-Antoine, le Saint-Patron des Portugais, était noir. Elle a donc été brûlée vive comme Jeanne d’Arc. Et il y a des figures emblématiques comme Chacazoulou, grand guerrier qui va conquérir le Zimbabwe et va aller jusqu’en Afrique du sud.  Il y a Béanzin, une guerrière amazone, au Bénin. On fait donc passer ce message à travers le théâtre pour dire « nous avons été grands. On avait une histoire».  C’était extraordinaire de se découvrir, de se regarder, d’ailleurs c’est la fonction du théâtre. La différence entre les rassemblements religieux et le théâtre, c’est qu’à l’église, on ne se regarde pas, on regarde vers l’au-delà, on regarde celui qui prêche, le passeur, mais le théâtre, c’est un moment, un moyen de vous faire regarder le monde, les autres, et en regardant les autres, nous pouvons explorer le monde, la société, l’homme, les autres et nous-mêmes.  Le théâtre, dans toutes les sociétés, est important, d’autant plus que cette découverte, cette exploration se fait ensemble. Il y a ce que l’on reçoit ensemble, et il y a ce que chacun reçoit individuellement. Il y a quelque chose de profond et de magique dans le théâtre. 

Après avoir revisité l’histoire, après avoir donné l’occasion aux gens de se regarder, de s’interroger, d’explorer leur société, leur propre moi, il va y avoir une autre phase vers la fin des années 60, le début des années 70. Et là, dans certains pays et particulièrement le Congo Brazzaville, le théâtre devient un instrument de la critique, de la dénonciation. Ce regard avant sur l’Afrique était idéalisé. On est malheureux aujourd’hui parce qu’on a été colonisé par des étrangers, mais depuis les Indépendances, c’est nous qui dirigeons, donc cela va aller mieux, et 10 ans après, il apparaît que le pouvoir en place donne une impression de désastre plus insupportable encore quand c’est un frère qui a soudain un poste et qui agit comme un colonialiste. A cette époque d’ailleurs j’ai écrit un texte qu’on a aimé ou pour lequel on m’en a voulu énormément. Après ces Indépendances, on n’a fait que noircir les fauteuils. Et bien évidemment, ceux qui étaient sur ces fauteuils m’en voulaient à mort. Ce théâtre va donc être un théâtre de la désillusion, du désenchantement, qui va se mettre à critiquer, à dénoncer, et va atteindre le roman. Et selon les théoriciens, le texte qui inaugure cette période, c’est le texte du Président que j’ai écrit en 68 (cf. carnet "Littératures subsahariennes"). Et à l’époque, quand j’écrivais, j’étais loin de penser que j’allais marquer un moment. Je constatais que la situation politique de mon pauvre pays était de plus en plus difficile. Et j’avais fait trois versions de ce texte, dont une comique, et finalement c’est la version dramatique que j’ai choisi de publier.  Et tout de suite après, il y a eu beaucoup de textes. Et quand ce texte est paru, il y a eu des articles dans Le Monde ou Le Monde diplomatique où on mettait en parallèle ce texte avec celui de l’écrivain sud-américain Asturias, El presidente, à un moment donné où il y avait aussi des dictatures.

Je citerai pour la toute première génération qui relance le théâtre africain : Bernard Dadié, Massam Ka Dian Diabaté, Jean Pliat.    
Pour le théâtre du désenchantement, il y a des noms qui s’imposent : d’abord Bernard Dadier, qui est de Côte d’Ivoire, Bernard Zaïzaou avec L’Oeil, moi-même, Maxime N’Debeka, et beaucoup d’autres qui vont venir après.

Notre mouvement, dans les années 80, va venir s’imposer. Le théâtre est en train de naître. Le théâtre, ce n’est pas seulement le texte, mais aussi la dramaturgie, la mise en scène. Qu’est-ce que le théâtre africain ? Comment le jouer ? Par exemple, Bernard Zaïzaou n’a pas forcément de texte, mais incorpore le corps, entraîné par la musique, le chant. Le théâtre, c’est du spectacle, ce n’est pas seulement les mots, ce qui réduirait le théâtre au verbe, et on resterait à la conception du théâtre au 18e siècle français. 
Ainsi, avant je pouvais écrire du théâtre sans penser à la scène. Mais aujourd’hui je ne peux pas démarrer les premiers mots si je n’ai pas les béquilles, si je n’ai pas dans ma tête déjà toute une composition, tout l’aspect physique. »

Biographie

Maxime N'Débéka
Écrivain congolais. poète, dramaturge et metteur en scène, condamné à mort une première fois en 1972 par les autorités congolaises en raison de son engagement pour la liberté et la justice, Maxime N’Debeka a dû à plusieurs reprises se contraindre à l’exil. Après un bref répit en 1996, où sur proposition d’un collectif d’artistes, il est devenu ministre de la Culture, la guerre civile, un an plus tard, l’a de nouveau conduit à trouver refuge hors des frontières du Congo. Toutes ses pièces ont été créées sur scène, ou sur ondes radio, ou lues en public, en Afrique, en Europe et aux États-Unis. Il est accueilli actuellement en Ville-Refuge à Blois.
Il a publié : Soleils neufs, Clé, 1969. Le Président, P. J. Oswald, 1970, L’Harmattan, 1983. (lire le petit carnet "littératures subsahariennes") L’Oseille/Les Citrons, P. J. Oswald, 1975. Les Signes du silence, Saint-Germain-des-Prés, 1978. Les Lendemains qui chantent, Présence africaine, 1983.
(lire le petit carnet "littératures subsahariennes") La Danse de n’kumba ensorcelée, Publisud, 1985. Vécus au miroir, Publisud, 1990. Paroles insonores, L’Harmattan, 1994. Le Diable à la longue queue, Éditions Lansman, 2000.
Son œuvre littéraire est marquée par le réalisme fantastique. Pour lui c’est la poésie qui l’amené au militantisme. Car tout comme André Brink, Maxime N’Débéka pense que l’écrivain doit dénoncer le pouvoir. Se définissant comme un homme d’après les indépendances, il dénonce le pouvoir des nouveaux politiciens noirs, ceux qui ont pris la place des colonisateurs, et il dénonce dans ses écrits ces hommes qui n’ont fait que " noircir les fauteuils ministériels depuis les indépendances ". Il explique avec beaucoup d’humour que ce soit au Congo Brazzaville où le pouvoir regardait du coté de l’Union Soviétique, au Zaïre ou Mobutu était l’homme des Américains, ou au Gabon où Omar Bongo était (et est encore) l’homme des Français, partout quelles que soient ses références idéologiques, le pouvoir fonctionne de la même manière. Inquiété pour sa vie dans son pays pour ses prises de position politique, Maxime N’Débéka dit que l’écriture l’a sauvé au sens figuré en l’empêchant de devenir un apparatchik et au sens propre car à chaque fois que le pouvoir a envoyé les tueurs, il y a eu parmi ceux-ci un qui l’a sauvé en lui disant : " j’ai lu vos livres ".Son premier livre, il l'a écrit en 1969. Il vivait alors à Brazzaville et les jeunes Congolais rêvaient de socialisme. Le régime coupe vite les ailes aux aspirations de cette jeunesse africaine. Comme beaucoup de ses compagnons, Maxime N'Debeka est arrêté et condamné à mort en 1972. Emmené en brousse, il attend la sentence. " Toute la jeunesse qui défendait une certaine idée de la société se retrouvait piégée en rase campagne. Nous vivions un exil intérieur ", se souvient Maxime. Certains prisonniers seront effectivement exécutés, lui non. En 1975, le pouvoir l'autorise à revenir en ville. Il est passé à travers les mailles de l'arbitraire. Il reprend l'écriture de pièces de théâtre sans rien renier de ses engagements, subit de nouvelles menaces et s'exile cette fois pour la France puisque c'est en français qu'il écrit. Plusieurs fois, il retourne au Congo espérant y vivre en pleine liberté d'expression. Las, d'une guerre civile à l'autre, Maxime sera toujours contraint de quitter sa terre natale. En 1994 pourtant, une éclaircie démocratique lui donne un peu d'espoir. Retour à Brazzaville où il noue des liens forts avec les élites culturelles tout en exerçant, pour vivre, son métier d'ingénieur des télécommunications. Le gouvernement lui confie l'organisation du Festival panafricain de la musique. C'est une telle réussite que les Congolais descendent dans la rue pour qu'on le nomme ministre. Des artistes soutiennent cette nomination. De fait, Maxime N'Debeka sera ministre de la Culture du Congo de septembre 1996 à octobre 1997. " J'ai mis toute mon expérience au service de ce ministère jusqu'à ce que l'armée angolaise entre dans Brazza pour soutenir Sessou-Nguesso et renverser le gouvernement ". Dans la capitale, les jeunes partisans de l'un ou l'autre aspirant au pouvoir ont été armés. Ce sera un véritable massacre et le début d'une nouvelle guerre civile. Près de 10 000 morts et 500 000 personnes déplacées. Maxime N'Debeka ne se résout à partir que quand l'armée angolaise se trouve à 500 mètres de sa maison, " je me suis caché en brousse puis à Kinshasa, de l'autre côté du fleuve. Ensuite il a fallu partir pour de bon ".

Blois est l'une des villes-refuges du Parlement international des écrivains. La ville accueille donc Maxime et sa famille. " Avant la création du Parlement, seuls les réfugiés politiques pouvaient trouver protection quelque part. Et voilà que quelques individus, à Strasbourg, se mobilisent contre la généralisation de la censure, le traitement réservé à Salman Rushdie et veulent mettre les écrivains à l'abri. L'idée est simple : si on tue l'imagination, il n'y a plus d'humanisme possible ", explique-t-il aujourd'hui, conscient d'avoir trouvé en France une certaine paix pour se remettre à écrire. Il refuse le statut de réfugié politique, se proclame écrivain en refuge et termine un roman Sel-piment à la braise qui devrait être prêt pour 2003. Ses convictions démocratiques restent entières même s'il dit avoir pris du recul par rapport à son militantisme de jeunesse. C'est avec plaisir qu'il participera, avec d'autres écrivains, aux tables rondes des prochaines "Plumes rebelles". Bien entendu, il garde un œil attentif du côté de Brazzaville. Mais pour le moment, Maxime N'Debeka doit bien reconnaître que " tout système démocratique au Congo est annihilé, balayé. Si je rentrais maintenant, ils me liquideraient. Ils m'ont raté trop de fois. Quand la démocratie reviendra, bien sûr, je retournerai au pays ".
Aurine Crémieu

Publié dans Entrevues

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