Hygiène de l'assassin ***/ Amélie Nothomb (1992)
Prétextat Tach, prix Nobel de littérature, tire la triste fierté d'être atteint d'un cancer rarissime qui ne lui accorde plus que deux mois à vivre. Aussitôt les médias se déchaînent, dépêchant pour interviewer ce misanthrope une poignée de journalistes triés sur le volet par son secrétaire dévoué. Les quatre premiers se font très vite congédier. Mais le cinquième, qui sera la dernière, semble le prendre à son propre jeu...
Presque entièrement dialogué pour mieux mettre en exergue les duels successifs du protagoniste avec les journalistes, ce premier roman témoigne néanmoins de la plume d'Amélie Nothomb, qui se révèle ironique, mordante, inventive, machiavélique, cynique, cruelle. Cette dernière met en scène un écrivain antipathique, vicéralement mysogine et mysanthrope, un obèse provocateur, bouffi d'orgueil, jouissant du plaisir d'éconduire les journalistes l'un après l'autre, et qui va rencontrer en la personne d'une jeune "fouille-merde" sûre d'elle, son double. Pourtant, le lecteur n'est pas non plus du côté de ces journalistes, qui l'un après l'autre se croient plus habiles que les précédents. Parfois même, il pourrait en retirer pour lui-même quelques pensées bien senties :
"moi, je lis comme je mange : ça ne signifie pas seulement que j'en ai besoin, ça signifie surtout que ça entre dans mes composantes et que ça les modifie." (p. 69)Ainsi, "on ne regarde plus les jeunes filles en imperméable comme avant, quand on a lu un Léo Malet." (p. 70)
Bien au contraire, un peu comme un arbitre dans une partie de tennis, le lecteur observe les victoires successives du personnage principal, que le cynisme rend presque sympathique, avant de jouir de cette longue joute de répliques cinglantes entre le vieil écrivain et cette journaliste, laquelle va se transformer en interrogatoire serré qui va dévoiler, à partir d'un roman inachevé mis en abîme, Hygiène de l'assassin, le passé du premier.
Croyez-moi, si vous ne l'avez lu, vous passerez un bon moment en sa compagnie.
n.b. : merci à Aurélie pour cette lecture !