L'homme du lac ***/ Arnaldur Indridason (2008)
Titre original : Kleifarvatn (Islande, 2004)
Un polar excellentissime, surgi des profondeurs de la Stasi
A la suite d'un tremblement de terre, une faille s'est ouverte au fond du lac de Keifarvatn qui s'y vide peu à peu, découvrant sur son fond asséché un squelette lesté par un émetteur radio russe. Chargés de l'enquête, Erlendur et ses confères suivent deux pistes, l'une sur les disparitions non élucidées ayant eu lieu au cours des années 60, l'autre vers les ambassades des pays alors en guerre froide...
Arnaldur Indridason : retenez bien ce nom, pour qui ne connaîtrait pas encore cet auteur islandais qui a renouvelé le paysage du polar. Car ce quatrième roman surpasse encore les trois premiers qui, déjà, avaient remporté de nombreux prix. Nous retrouvons avec bonheur notre cher Erneldur, toujours obsédé par la disparition de son frère, avec à ses côtés l'apparition de son fils, Sindri Snaer, sa fille Eva Lind demeurant introuvable. Comme dans La Femme en vert, le roman commence par un squelette retrouvé, des disparitions non élucidées et une affaire vieille de quarante ans, en plein climat de guerre froide. Cela semble d'ailleurs devenir une constante chez lui, qui lui réussit : l'important n'est en effet pas tant le meurtre, ni la victime, ni le meurtrier, mais le filet d'événements socio-historiques qui a conduit au crime. Cette fois-ci, c'est finalement une histoire d'amour que va déterrer Erneldur, commencée et interrompue pour toujours à Leipzig, en Allemagne de l'est, Tomas rentrant brisé en Islande. Car nous voici plongés en pleine guerre froide, où, comme dans le magnifique film La Vie des autres, le protagoniste va lui aussi, on le devine, changer d'attitude : étudiant de vingt ans destiné à un brillant avenir au sein du parti socialiste, arrivant à Leipzig avec la foi inébranlable de sa jeunesse voulant offrir un meilleur avenir pour son pays, il commence par trouver normales la suppression de la liberté d'expression et la pratique des écoutes et de la surveillance réciproque. Puis, les doutes s'insinuent, et d'idéaliste optimiste embrassant la cause d'un régime, il redevient un individu exerçant son esprit critique, capable de sentiments, d'amour, et donc un être terriblement humain... qui sera alors confronté aux rouages impitoyables de la Stasi.
"Quand il quitta l'université, il lui sembla étrange en regardant autour de lui de constater que rien n'avait changé. Les gens se comportaient comme si rien n'était arrivé. Ils marchaient d'un pas pressé sur les trottoirs ou restaient debout à discuter. Son monde à lui venait de s'écrouler et pourtant rien n'avait changé." (p. 228)
Sans conteste, l'un des meilleurs polars de l'année.